Le temps semblait suspendu, comme s’ils s’étaient tous deux installés dans leur monde respectif et qu’ils voulaient simplement partager ce moment comme une parenthèse intemporelle. De loin je les regardais et à mon tour, je me mis à goûter ce silence, celui qui enrobe les événements comme pour les sortir de leur contexte, les mettre en perspective. Tout s’agitait autour d’eux. La pendule au dessus du comptoir allait bientôt marquer l’heure méridienne et un brouhaha commença à s’installer dans cette salle tout à l’heure vide.
Les ouvriers du chantier d’à côté arrivaient pour se désaltérer d’abord, se débarbouiller rapidement au lavabo, avaler le plat du jour, et boire leur boire leur verre de vin rouge. Les employés du magasin d’a côté arriveraient plus tard et s’installeraient plus discrètement à leur table interpellant le garçon pour passer leur commande au plus vite et retourner pointer pour 14 heures.
Je n’avais jamais vu ces deux hommes auparavant. Je m’imaginais qu’ils étaient peut être muet, peut être sourds et muets. Ils semblaient se respecter l’un l’autre, comme s’ils avaient conclu un pacte, comme s’ils jouaient au roi du silence.
Deux heures venaient de se passer. J’avais fini de corriger mes copies depuis longtemps et je m’apprêtais à partir pour rentrer chez moi J’aurais voulu les prendre en photo avant de partir et puis je n’ai pas osé. Mais je me suis rapidement rassise sur la banquette rouge de ce troquet parisien lorsqu’une femme est entrée. Elle était trempée car dehors l’orage qui grondait depuis le matin avait éclaté violemment. A ce moment j’ai vu les deux hommes se lever et l’un d’eux, celui avec le pantalon vert sapin, est allé chercher un tabouret pour qu’elle puisse s’installer entre eux d’eux. L’homme en jean a commandé aussitôt un whisky au serveur et la femme à la belle chevelure rousse a regardé l’homme au pantalon vert sapin. J’étais trop loin pour les entendre mais je sais que c’est l’homme en jean qui a enfin rompu le silence.