Mariana Enriquez (614) - Une maison à dévorer
Mariana Enriquez

Prologue

Ma famille pense que je suis cinglée parce que j’ai choisi de vivre à Constitución, dans la maison de mes grands-parents paternels, un bloc de pierres et de portes en fer peintes en vert, rue Vierreyes, avec des motifs Arts déco et de vieux azulejos au sol. Ils sont tellement usés que si je les cirais, je pourrais ouvrir une piste de patinage. Mais moi j’ai toujours adoré cette maison et je me rappelle ma colère, petite, quand elle fut louée à un cabinet d’avocats, combien je regrettai ces pièces aux grandes fenêtres et le patio intérieur aux allures de jardin secret, ma frustration lorsque je franchissais le seuil car je ne pouvais plus aller et venir librement. Ce n’était pas tellement mon grand-père qui me manquait, cet homme, cet homme taiseux qui souriait à peine et ne jouait jamais. Mais je pleurai beaucoup plus ensuite, quand on perdit la maison, du moins pendant quelques années.

Mariana Enriquez (614) - Une maison à dévorer
SaidJol

Mes voyages

Pour moi, cette maison-là ne représentait pas seulement un lieu où j’avais mis tous mes souvenirs de mon enfance, mais aussi un endroit où je pouvais voyager avec la fantaisie. Quand j’étais petite je pouvais imaginer être sur un autre planète.

Mariana Enriquez (614) - Une maison à dévorer
Léa_D

La cuisine

Aujourd’hui, je suis la cuisine. Plus que la gourmandise que me procurent les odeurs, les saveurs ou la chaleur qui émanent de la pièce, c’est mon corps qui réagit chimiquement lorsque je rentre dans la pièce. Elle et moi ne faisons plus qu’une seule et même entité. Je suis le batteur qui mélange la moutarde à l’huile d’olive, la fourche à trois piques qui décortique le poulet. Je suis le plat à tarte que l’on enfarine. Oui, je dois le reconnaître, j’aime être enfarinée.
La partie que je préfère ? Le frigidaire ! Si la cuisine était un corps, le frigidaire serait son cerveau. Lorsque la porte s’ouvre, c’est un univers des possibles qui se crée. Tout est permis : associer ces crevettes avec cet ananas qui vit dans le froid depuis quelques temps, cet avocat et ce reste de ketchup, cette laitue un peu ridée et ce thon décapité. Cette tomate, laissée seule par ses amies saladifiées sans autres formes de procès, finira par se marier avec ce reste de poulet, et terminera en apothéose : farcie puis chapeautée, elle accomplira son destin de tomate dans l’intestin heureux d’un gourmet.
La cuisine est, enfin, le lieu de coordination de toute la famille, le point de fuite, le théâtre de la dispute : la cuisine est l’hypercentre de cette maison. Elle fait naître les passions, elles crée les conflits et les règle, elle est notre commun.

Mariana Enriquez (614) - Une maison à dévorer
Christo

L’escalier

L’orage a formé des milliers de petites gouttelettes sur la vitre de l’œil de bœuf au dessus de la porte d’entrée. Une lumière grise et sépia vient former des reflets et d’étranges volumes sur les formes lisses des vases Galet disposés dans le hall. En haut de l’escalier massif qui descend vers la pièce principale, suspendu sous un plafond invisible, perdu dans l’ombre de sa hauteur, se tient le lustre majestueux à tête de dragon, ses vases en pâte de verre orangés apportent le complément de lumière.
J’ai aimé enfant découvrir au bout de l’escalier, cette pièce immense et lumineuse qui constitue le cœur de l’habitation.
Encore aujourd’hui j’ai l’impression en m’engageant sur la première marche que je me dirige vers une quelconque cave ou encore un espace de travail. L’architecte nous a ménagé une surprise de taille et elle gagne en sensation à chaque nouvelle expérience.
Les marches sont larges, en béton lissé, le noir domine et c’est progressivement que je quitte un domaine pour un autre, que je passe du statut d’invité à celui d’habitant.
Après mon expérience dans la cuisine, j’oublie peu à peu les vestiges laissés ça et là par les hommes de loi, cartons et trieurs à porte coulissantes. La maison reprend forme dans mon esprit, je l’habite à nouveau en arrivant au bas des marches, les souvenirs de plus en plus présent me reviennent par vagues.
Je me retourne d’un quart de tour, j’ai fait ce geste cent fois, je l’ai répété après que ma grand mère me l’ai appris, en cachette de son triste mari, je colle tout mon corps dans un mouvement brusque et tendu, l’épaule et le genou appliqués contre la paroi dans les loges invisibles dont je n’ai jamais perdu l’expérience.
Au lieu de pénétrer dans la pièce principale, je traverse l’étroit passage secret et pivote en même temps que le mur dans la pièce qui n’existe pas.

Mariana Enriquez (614) - Une maison à dévorer
Debrouve

Le jardin secret

Cette pièce baignée de lumière continuait de m’obséder. Une nuit, elle m’est apparue en rêve. Je voyais mon grand-père à l’intérieur, paisiblement installé sur une chaise longue. Des plantes formaient comme une forêt tropicale autour de lui - des monsteras, des des pothos, des lianes, parmi lesquelles mon grand-père semblait se fondre. Je ne pouvais pas le rejoindre car la pièce était sans porte. A vrai dire, je n’ai jamais pu dissocier mon grand-père de la maison de Constitucion. Fasciné par la botanique, il avait installé un jardin où il cultivait des plantes rares, parfois dangereuses ou illégales qu’il ramenait de ses expéditions au Brésil. Ce jardin avait, par miracle, été entretenu par l’un des avocats du cabinet qui avait pris possession du lieu dans les années 70, lui aussi féru de botanique et fasciné par le travail de mon grand-père. J’ai donc récupéré, avec la maison, ce jardin installé dans le patio. Je m’y installe souvent. De là, je peux voir le ciel grouillant d’étoiles. Parfois, le ciel est vraiment féerique, avec ses couleurs de tableaux en feu, on se croirait sur une autre planète et dans ces moments-là, je suis sûre de ne pas être cinglée.

Mariana Enriquez (614) - Une maison à dévorer
Steph20

Nouveau départ

Ce sont les gens qui ne savent pas se laisser aller, qui ne savent pas rêver qui sont cinglés. Apres dix ans passer loin d’ici, j’ai enfin pu comprendre ca. Même si cette maison tombe en ruine, je me sens suis jamais sentie aussi vivante qu’entre ces murs. Je vois mes grands-parents s’aimer comme des adolescents, danser, rire, boire et refaire le monde. Ils adoraient écouter des vinyles de Louis Amstrong. Il est encore la le tourne disque, sous l’escalier, pleins de poussières. C’est la première chose que j’ai envie de remettre dans cette grande pièce vide. Je vais inviter Lola, acheter un vinyle d’Ella Fitzgerald, une bouteille de Givry et un vieux canapé. Je crois que nous avons rien besoin d’autre. C’est ici que je prendrais ce nouveau départ, apres des années à errer, à me chercher et à fuir. Quelques rayons de soleil font leur apparition et rebondissent sur un coin du carreau cassé. J’avais l’habitude petite de venir m’asseoir sur cette fenêtre. Lola veut une grande famille, j’imagine qu’eux aussi, il viendront s’asseoir ici et qu’ils s’accorderont le droit de rêver et d’être cinglés.

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SaidJol

Mes voyages

Pour moi, cette maison-là ne représentait pas seulement un lieu où j’avais mis tous mes souvenirs de mon enfance, mais aussi un endroit où je pouvais voyager avec la fantaisie. Quand j’étais petite je pouvais imaginer être sur un autre planète.

Mariana Enriquez (614) - Une maison à dévorer
Léa_D

La cuisine

Aujourd’hui, je suis la cuisine. Plus que la gourmandise que me procurent les odeurs, les saveurs ou la chaleur qui émanent de la pièce, c’est mon corps qui réagit chimiquement lorsque je rentre dans la pièce. Elle et moi ne faisons plus qu’une seule et même entité. Je suis le batteur qui mélange la moutarde à l’huile d’olive, la fourche à trois piques qui décortique le poulet. Je suis le plat à tarte que l’on enfarine. Oui, je dois le reconnaître, j’aime être enfarinée.
La partie que je préfère ? Le frigidaire ! Si la cuisine était un corps, le frigidaire serait son cerveau. Lorsque la porte s’ouvre, c’est un univers des possibles qui se crée. Tout est permis : associer ces crevettes avec cet ananas qui vit dans le froid depuis quelques temps, cet avocat et ce reste de ketchup, cette laitue un peu ridée et ce thon décapité. Cette tomate, laissée seule par ses amies saladifiées sans autres formes de procès, finira par se marier avec ce reste de poulet, et terminera en apothéose : farcie puis chapeautée, elle accomplira son destin de tomate dans l’intestin heureux d’un gourmet.
La cuisine est, enfin, le lieu de coordination de toute la famille, le point de fuite, le théâtre de la dispute : la cuisine est l’hypercentre de cette maison. Elle fait naître les passions, elles crée les conflits et les règle, elle est notre commun.

Mariana Enriquez (614) - Une maison à dévorer
Christo

L’escalier

L’orage a formé des milliers de petites gouttelettes sur la vitre de l’œil de bœuf au dessus de la porte d’entrée. Une lumière grise et sépia vient former des reflets et d’étranges volumes sur les formes lisses des vases Galet disposés dans le hall. En haut de l’escalier massif qui descend vers la pièce principale, suspendu sous un plafond invisible, perdu dans l’ombre de sa hauteur, se tient le lustre majestueux à tête de dragon, ses vases en pâte de verre orangés apportent le complément de lumière.
J’ai aimé enfant découvrir au bout de l’escalier, cette pièce immense et lumineuse qui constitue le cœur de l’habitation.
Encore aujourd’hui j’ai l’impression en m’engageant sur la première marche que je me dirige vers une quelconque cave ou encore un espace de travail. L’architecte nous a ménagé une surprise de taille et elle gagne en sensation à chaque nouvelle expérience.
Les marches sont larges, en béton lissé, le noir domine et c’est progressivement que je quitte un domaine pour un autre, que je passe du statut d’invité à celui d’habitant.
Après mon expérience dans la cuisine, j’oublie peu à peu les vestiges laissés ça et là par les hommes de loi, cartons et trieurs à porte coulissantes. La maison reprend forme dans mon esprit, je l’habite à nouveau en arrivant au bas des marches, les souvenirs de plus en plus présent me reviennent par vagues.
Je me retourne d’un quart de tour, j’ai fait ce geste cent fois, je l’ai répété après que ma grand mère me l’ai appris, en cachette de son triste mari, je colle tout mon corps dans un mouvement brusque et tendu, l’épaule et le genou appliqués contre la paroi dans les loges invisibles dont je n’ai jamais perdu l’expérience.
Au lieu de pénétrer dans la pièce principale, je traverse l’étroit passage secret et pivote en même temps que le mur dans la pièce qui n’existe pas.

Mariana Enriquez (614) - Une maison à dévorer
Debrouve

Le jardin secret

Cette pièce baignée de lumière continuait de m’obséder. Une nuit, elle m’est apparue en rêve. Je voyais mon grand-père à l’intérieur, paisiblement installé sur une chaise longue. Des plantes formaient comme une forêt tropicale autour de lui - des monsteras, des des pothos, des lianes, parmi lesquelles mon grand-père semblait se fondre. Je ne pouvais pas le rejoindre car la pièce était sans porte. A vrai dire, je n’ai jamais pu dissocier mon grand-père de la maison de Constitucion. Fasciné par la botanique, il avait installé un jardin où il cultivait des plantes rares, parfois dangereuses ou illégales qu’il ramenait de ses expéditions au Brésil. Ce jardin avait, par miracle, été entretenu par l’un des avocats du cabinet qui avait pris possession du lieu dans les années 70, lui aussi féru de botanique et fasciné par le travail de mon grand-père. J’ai donc récupéré, avec la maison, ce jardin installé dans le patio. Je m’y installe souvent. De là, je peux voir le ciel grouillant d’étoiles. Parfois, le ciel est vraiment féerique, avec ses couleurs de tableaux en feu, on se croirait sur une autre planète et dans ces moments-là, je suis sûre de ne pas être cinglée.

Mariana Enriquez (614) - Une maison à dévorer
Steph20

Nouveau départ

Ce sont les gens qui ne savent pas se laisser aller, qui ne savent pas rêver qui sont cinglés. Apres dix ans passer loin d’ici, j’ai enfin pu comprendre ca. Même si cette maison tombe en ruine, je me sens suis jamais sentie aussi vivante qu’entre ces murs. Je vois mes grands-parents s’aimer comme des adolescents, danser, rire, boire et refaire le monde. Ils adoraient écouter des vinyles de Louis Amstrong. Il est encore la le tourne disque, sous l’escalier, pleins de poussières. C’est la première chose que j’ai envie de remettre dans cette grande pièce vide. Je vais inviter Lola, acheter un vinyle d’Ella Fitzgerald, une bouteille de Givry et un vieux canapé. Je crois que nous avons rien besoin d’autre. C’est ici que je prendrais ce nouveau départ, apres des années à errer, à me chercher et à fuir. Quelques rayons de soleil font leur apparition et rebondissent sur un coin du carreau cassé. J’avais l’habitude petite de venir m’asseoir sur cette fenêtre. Lola veut une grande famille, j’imagine qu’eux aussi, il viendront s’asseoir ici et qu’ils s’accorderont le droit de rêver et d’être cinglés.