La poche de la cuisse gauche du pantalon de treillis de BA5799 était plutôt spacieuse et dégageais un odeur de tabac. Un défaut de fabrication engendra au bout du deuxième jour une rupture du tissu. Au bout de huit semaine, deux jours et quatre heure ce trou avait atteint une ampleur suffisante pour que je m’y engouffre. Mon poids, pourtant optimal, me permit de glisser jusqu’au bas du pantalon. Je n’avais jamais vraiment connu le vide. Pendant un court instant, je ne fus en contact ni avec le tissus du treillis, ni avec un étui en plastique. Juste après avoir jailli de l’ourlet du pantalon de treillis de BA799, je me retrouvais suspendu entre ciel et terre après avoir traversé ce long tunnel de tissu au relent de plastique, je découvris la lumière du soleil et la gravité de concert. C’est alors que je formulais pour la première fois une pensée consciente, un jugement de valeur pour être exact : la couleur de ce treillis était vraiment ignoble quant à la coupe n’en parlons même pas, puis je heurtais le sol
Prologue
Mon numéro de série est le 6545-01-0522. J’ai été déballé d’un étui en plastique, puis ouvert, contrôlé et rassemblé. Un marqueur noir a écrit sur moi : BA5799 0 POS et j’ai été mis dans la poche de la cuisse gauche du pantalon de treillis de BA5799. C’est là que je restais : cette poche était rarement ouverte.
J’ai passé huit semaines, deux jours et quatre heures dans cette poche. On n’avait pas encore besoin de moi. Je glissais contre la cuisse de BA5799, de-ci de-là, de-ci de-là, en général lentement mais parfois vite, en bondissant dans tous les sens. Et il y avait du bruit : des détonations et des craquements, des gémissements aigus, des cris d’excitation et de colère.
La poche de la cuisse gauche du pantalon de...
Seul dans le noir
ça commence bien. L’aéroportée nous a largué à deux km à l’ouest de notre position. Il va falloir marcher. Les camarades sont éparpillés aux alentours. Ne pas oublier le coup de criquet : "foudre", réponse : "tonnerre". Il a plu toute la nuit. Le sol est meuble. L’herbe est une vraie patinoire. Rien, malgré toute la préparation subie au pays, puis en Angleterre, ne vous prépare à ce que l’on traverse. Dans le ciel gris, troublé par les éclairs de la DCA allemande, on priait tous pour ne pas se faire désintégrer, pour ne pas mourir avant d’avoir touché le sol. Certains sont descendus comme des torches, longue comète d’âmes se consumant en direction de l’enfer au sol.
Contrairement à ce qui avait été attendu donc me voici au sol derrière les lignes allemandes. J’ai perdu mon fusil dans la descente en parachute. Il est tant de te sortir de ma poche, cher pistolet. Dans ce noir, il ne me restera donc jusqu’à l’aube que l’option du combat rapproché.
Naissance
– Une nuit blanche pour tous ces jours noirs où nous étions condamnées à nous taire, nous, les armes à feu, avec pour toute identité un numéro de série. 6545-01-0522. Un nom de code. Une âme secrète qui ne fera éclater son véritable visage au véritable premier mort. Je suis 6545-01-0522 et je m’apprête à voir le jour. Un jour en pleine nuit. Une nuit que j’éclairerai de mon feu sacré. Tant de temps passé à attendre dans les poches rigides en cuir des pantalons de Marines. Prête à l’assaut sans jamais avoir eu l’honneur de m’exprimer. De montrer de quoi j’étais capable. Mon jour de gloire est enfin arrivé : je suis 6545-01-0522 et je vais connaître le monde. Mon monde. La mort. Je vis à la mort des autres. Je vis pour leur mort. C’est comme cela. Pas de morale pour les 6545-01-0522. Les 6545-01-0522 ne réfléchissent pas en terme binaire. Les 6545-01-0522 n’ont pas de comptes à rendre ; mais des comptes à régler. Je suis 6545-01-0522 et je m’apprête à naître à la grande nuit, l’aube est loin encore - puisse-t-elle arriver le plus tard possible - et le combat m’attend. Une main se pose sur moi. Me serre. Je glisse le long de la gaine en cuir. J’entends déjà les coups de feu de mes sœurs. Je sens que mon tour est arrivé. Je sors.
l’unique condition
là rien, nada, niet. Je tremble et je tombe. Dans un dernier soubresaut je tente désespérément de remplir ma fonction mais mon actionneur n’est plus.
Libre enfin !
Que vais-je faire de ma vie ? Je me glisse dans une interstice accueillante, le temps de faire un inventaire et d’envisager les possibles. Le souffle court, quelque chose me rattrape. Irrépressible, tout est écrit, ma destinée celle de me retourner contre mon maître.
Blasé
Quel ennui ! les secousses répétées des tirs soutenus m’emmerdent. ça part dans tous les sens. l’abruti qui me manie n’a pas touché une seule cible en quatre jours d’escarmouches. ses tremblements hésitants avant chaque détonation sont un supplice : je sais bien que le tir manquera. mais ça, la hiérarchie n’en a rien à carrer. ils sont satisfait-e-s si l’infanterie de base a un taux de réussite d’environ 4% ! Et personne n’osera écouter la complainte d’un pauvre revolver, desfois qu’on les prennent pour des fous. c’est ainsi que je m’explique l’absence de réponse des Colonels Averges, Lyautey, du Caporal Dagognet, du Sergent Poisson, auxquels j’ai demandé avec toute la solennité et l’humilité de rigueur lorsque l’on s’adresse à ses supérieurs, d’être affecté à d’autres clampins que mon sus-mentionné maître et possesseur. Ils ont dû croire à un canular, et punir quelque pauvre hère pour avoir écrit au semi-automatique ces lettres de désespoir sur les murs de la garnison.
La poche de la cuisse gauche du pantalon de...
La poche de la cuisse gauche du pantalon de treillis de BA5799 était plutôt spacieuse et dégageais un odeur de tabac. Un défaut de fabrication engendra au bout du deuxième jour une rupture du tissu. Au bout de huit semaine, deux jours et quatre heure ce trou avait atteint une ampleur suffisante pour que je m’y engouffre. Mon poids, pourtant optimal, me permit de glisser jusqu’au bas du pantalon. Je n’avais jamais vraiment connu le vide. Pendant un court instant, je ne fus en contact ni avec le tissus du treillis, ni avec un étui en plastique. Juste après avoir jailli de l’ourlet du pantalon de treillis de BA799, je me retrouvais suspendu entre ciel et terre après avoir traversé ce long tunnel de tissu au relent de plastique, je découvris la lumière du soleil et la gravité de concert. C’est alors que je formulais pour la première fois une pensée consciente, un jugement de valeur pour être exact : la couleur de ce treillis était vraiment ignoble quant à la coupe n’en parlons même pas, puis je heurtais le sol
Seul dans le noir
ça commence bien. L’aéroportée nous a largué à deux km à l’ouest de notre position. Il va falloir marcher. Les camarades sont éparpillés aux alentours. Ne pas oublier le coup de criquet : "foudre", réponse : "tonnerre". Il a plu toute la nuit. Le sol est meuble. L’herbe est une vraie patinoire. Rien, malgré toute la préparation subie au pays, puis en Angleterre, ne vous prépare à ce que l’on traverse. Dans le ciel gris, troublé par les éclairs de la DCA allemande, on priait tous pour ne pas se faire désintégrer, pour ne pas mourir avant d’avoir touché le sol. Certains sont descendus comme des torches, longue comète d’âmes se consumant en direction de l’enfer au sol.
Contrairement à ce qui avait été attendu donc me voici au sol derrière les lignes allemandes. J’ai perdu mon fusil dans la descente en parachute. Il est tant de te sortir de ma poche, cher pistolet. Dans ce noir, il ne me restera donc jusqu’à l’aube que l’option du combat rapproché.
Naissance
– Une nuit blanche pour tous ces jours noirs où nous étions condamnées à nous taire, nous, les armes à feu, avec pour toute identité un numéro de série. 6545-01-0522. Un nom de code. Une âme secrète qui ne fera éclater son véritable visage au véritable premier mort. Je suis 6545-01-0522 et je m’apprête à voir le jour. Un jour en pleine nuit. Une nuit que j’éclairerai de mon feu sacré. Tant de temps passé à attendre dans les poches rigides en cuir des pantalons de Marines. Prête à l’assaut sans jamais avoir eu l’honneur de m’exprimer. De montrer de quoi j’étais capable. Mon jour de gloire est enfin arrivé : je suis 6545-01-0522 et je vais connaître le monde. Mon monde. La mort. Je vis à la mort des autres. Je vis pour leur mort. C’est comme cela. Pas de morale pour les 6545-01-0522. Les 6545-01-0522 ne réfléchissent pas en terme binaire. Les 6545-01-0522 n’ont pas de comptes à rendre ; mais des comptes à régler. Je suis 6545-01-0522 et je m’apprête à naître à la grande nuit, l’aube est loin encore - puisse-t-elle arriver le plus tard possible - et le combat m’attend. Une main se pose sur moi. Me serre. Je glisse le long de la gaine en cuir. J’entends déjà les coups de feu de mes sœurs. Je sens que mon tour est arrivé. Je sors.
l’unique condition
là rien, nada, niet. Je tremble et je tombe. Dans un dernier soubresaut je tente désespérément de remplir ma fonction mais mon actionneur n’est plus.
Libre enfin !
Que vais-je faire de ma vie ? Je me glisse dans une interstice accueillante, le temps de faire un inventaire et d’envisager les possibles. Le souffle court, quelque chose me rattrape. Irrépressible, tout est écrit, ma destinée celle de me retourner contre mon maître.
Blasé
Quel ennui ! les secousses répétées des tirs soutenus m’emmerdent. ça part dans tous les sens. l’abruti qui me manie n’a pas touché une seule cible en quatre jours d’escarmouches. ses tremblements hésitants avant chaque détonation sont un supplice : je sais bien que le tir manquera. mais ça, la hiérarchie n’en a rien à carrer. ils sont satisfait-e-s si l’infanterie de base a un taux de réussite d’environ 4% ! Et personne n’osera écouter la complainte d’un pauvre revolver, desfois qu’on les prennent pour des fous. c’est ainsi que je m’explique l’absence de réponse des Colonels Averges, Lyautey, du Caporal Dagognet, du Sergent Poisson, auxquels j’ai demandé avec toute la solennité et l’humilité de rigueur lorsque l’on s’adresse à ses supérieurs, d’être affecté à d’autres clampins que mon sus-mentionné maître et possesseur. Ils ont dû croire à un canular, et punir quelque pauvre hère pour avoir écrit au semi-automatique ces lettres de désespoir sur les murs de la garnison.