Si Salomé avait parfois defié sa mère, elle l’avait aussi toujours crainte. Aussi loin qu’elle puisse se rappeler, la plupart de ses envies enfantines avaient été brutalement stoppées par cette femme sévère, et lui en était resté une forme d’appréhension constante en sa présence.
Ce matin là, sa mère était assise sur la terrasse de la maison, la tête levée vers la glycine en fleur, comme pour vérifier que la beauté de la plante était contenue et, de ce fait, parfaite. Salomé trouvait sa mère belle malgré ses traits durs et figés. En fait elle était belle comme une statue : froide et fascinante.
Le craquement du parquet fit baisser les yeux de la femme vers sa fille.
"Tu as sali ta robe, tu devrais aller en changer, dit-elle.
Salomé ignora poliment la remontrance.
– Je veux aller à l’école.
– Iris est là pour ça, tu le sais bien.
– Iris ne m’apprend rien. Elle ne joue pas.
– Tu dois apprendre à jouer seule, tu sauras bien assez tôt à quel point ça te servira.
– Pourquoi tu ne me laisses pas aller dehors ? s’enquit Salomé.
– Il n’y a rien à apprendre dehors.
– Il y a les autres de mon âge.
– Ces enfants n’ont rien à voir avec toi.
– Je les aime bien. Ils me ressemblent.
– Salomé, je t’ai dit non. De toute façon, nous serons bientôt loin d’eux.
– Comment ça ?
Salomé était inquiète. Son imagination l’avait amenée à créer une amitié lointaine avec ces enfants, et même avec quelques adultes. Elle aimait les voir se heurter à une réalité qu’elle ne parvenait à palper que de manière superficielle. Elle ne pouvait se résoudre à partir sans un mot de cette maison qu’elle connaissait depuis son enfance et dans laquelle elle avait laissées ses empreintes, ses couleurs et ses nuances.
Elle ne le savait pas encore mais elle ne reverrait plus jamais sa ville, son pays et sa mère non plus.
Prologue
Comme toujours à cette heure, le chant de l’homme se fit entendre. Arpentant les rues du quartier, il hélait les habitants, traînant derrière lui un chariot. Son appel les faisait sortir en courant de leurs maisons et, en un rien de temps, la caisse à roulettes se remplissait de bouteilles vides. Elles avaient contenu du soda, de la bière la plupart du temps. Pour la peine, on lui remettait une pièce de cent francs. Bientôt, son chant s’éteignit dans le lointain. La nuit tomba alors, comme elle savait le faire dans ce pays, sans crier gare.
D’habitude, ce moment de la journée était son préféré. Un autre rythme s’emparait de la ville. Les marchandes de beignets et de poisson grillé remplaçaient leurs homologues qui, de l’aube au crépuscule, avaient proposé d’autres denrées. Les gamins des familles déshéritées prenaient place sous les réverbères pour faire leurs devoirs, tandis que les commères plantaient une chaise devant le portail de leur demeure, afin que rien ne leur échappe de la vie qui s’ébrouait là. Des rires étaient dans l’air.
Assise dans un coin de la cour, près de l’endroit où quelques bambous avaient
été arrachés à la clôture, Salomé regardait s’agiter le monde au dehors. Il lui était interdit de sortir, de fréquenter les enfants des quartiers comme disaient ses parents pour désigner les mal lotis. Aussi, c’était de loin qu’elle prenait part à leurs jeux, les enviant presque de vivre dans des maisons dépourvues d’électricité. Le spectacle de la rue la ravissait. Elle connaissait tout le monde, le moindre visage, les histoires de cœur naissantes, celles qui s’étaient achevées dans la fureur et les larmes.
Aujourd’hui, rien de tout cela ne l’intéressait. Salomé ne salivait pas à l’idée de goûter les maquereaux cuits à la braise, sur lesquels le vent apportait un peu de poussière pour parfaire l’assaisonnement. Sa mère disait que c’était plein de microbes, que c’était sale. Mais elle disait aussi qu’il ne fallait pas avaler les pépins des oranges, de peur qu’un oranger vous pousse sur la tête. Salomé, excitée à la pensée d’un arbre prenant racine au milieu de son crâne, avait fréquemment défié l’interdit. En vain. Depuis, elle n’accordait qu’un crédit relatif aux dires de sa mère.
Pourtant, c’était la parole maternelle qui la troublait ce soir, lui gâchant le plaisir de l’observation. Quelques mots énoncés avec mépris, d’une voix sèche : « Ce sont nos gens, je leur parle comme il sied. Ils peuvent s’estimer heureux d’avoir été admis dans la famille… » Salomé se leva, fit quelques pas vers la maison, s’arrêta sous le manguier dont une chauve-souris avait croqué des fruits encore verts. Elle avait un peu peur de rentrer. « Ce sont nos gens. » Ces mots lui pesaient sur le cœur. Pourquoi ? Elle n’aurait pu le dire. Il lui venait simplement une intuition. Comme un soupçon. Elle devait savoir. Comprendre. Demain, elle irait interroger sa mère.
L’arrachement
Le doute
Il se faisait tard, le nuit déjà avait tout enveloppé, Salomé assise sur les marches est absorbée, absente ; les mots de sa mère se bousculent dans sa tête sans qu’elle ne parvienne à en trouver le sens.
Tout allait si bien, jusqu’à aujourd’hui ; salomé se demande si elle a bien fait de chercher à savoir, à comprendre ; finalement à quoi sert de vouloir savoir.
Sa mère à sans doute raison de garder le silence, mais alors pourquoi lui dire qu’elle devrait partir, bientôt, et très loin. S’agit-il d’un secret seul connu de ses parents, des adultes et en quoi cela la concerne-t-elle au point qu’elle doive partir, vite...
Salomé n’a pas l’habitude de tels changements ; toute sa vie jusqu’à présent est réglée comme une habitude qui chaque matin revient et se déroule jusqu’au soir. Salomé frissonne, elle regarde autour d’elle, scrupte les moindres détails de cet environnement qu’elle connait si bien, qu’elle aime, qu’elle ne veut pas quitter. Ce mystère se fait isupportable, le secret est intolérable.
Je dois savoir, se dit Salomé.
le retour
Le lendemain au réveil, rien n’était comme les jours précedents. Enfin, pendant le temps passé loin de la maison, ses perceptions vers les choses qui l’entouraient avaient été tous les jours différents. Elle s’en rendait parfaitement compte. De la vie de la cour où elle avait grandi, elle connaissez les moindres détails.
Du moins c’est ce qu’elle croyait. Elle ne croyait pas que quelque chose aurait pu encore la surprendre. Elle croyait avoir appris à gérer les tentatives de sa mère de biaiser ses opinions et son interprétation personnelle de la vie dans la cour, que à l’apparence la même pour tous.
Se détacher de tout ça n’avait pas été simple. Mais elle ne s’était jamais senti seule, tellement elle avait à découvrir. Elle se sentait loin de n’importe quelle chose qui aurait pu lui faire mal.
Le temps passé loin de la cour avait été fondamental. Rien ne sera comme avant à son retour. Tout lui paraitra nouveau. Tout lui sera clair comme jamais, elle en est sûre.
Le sorcier
La nouveauté était une source de mobilité et de curiosité pour Salomé. Les nouveaux couples, les nouvelles naissances, les nouveaux départs, les nouvelles arrivées : toutes les nouveautés du village l’attiraient. Salomé était obstinée par le mot "nouveau". Mais, le passé s’installait souvent dans son esprit. Elle voulut répondre à ces questions en discutant avec cet homme que tout le monde appelait familièrement le "sorcier".
Le sorcier était un homme étrange. Son aide et son remède incitaient les gens qui venaient le voir à ne pas croire la voix de la religion.
– Des mensonges, disait-il sans cesse. La seule vérité, c’est l’homme et son berceau : le monde.
La fuite
Alors Salomé partit. Pour la seconde fois. Elle partit d’elle-même ce coup-ci, elle n’y avait pas pensé avant, c’était venu comme ça, une nécessité. Elle partit, seule, sans rien dire à personne, surtout pas à maman, sans prendre une seule chose avec elle, elle ne voulait plus rien Salomé, plus aucune chose de la maison, peut-être, encore un peu les images en elle, les bruits, les cris et les rires des gens. En elle.
Salomé s’engouffra dans la fôret, se laissa envahir par les arbres et les lianes qui semblaient maintenant faire partie d’elle, comme si elle avait avalé des milliers de petites graines sales et qu’elles avaient germé dans sa tête. La fôret poussait d’elle, lui sortait du crâne, des bras et des épaules, elle devenait feuille, herbe, nature, et tant pis pour maman, et même pour les autres, ses gens qu’elle pensait emporter avec elle, tant pis pour tout ce qu’elle avait été avant, pour sa solitude et sa soif d’aller vers les autres. Ils s’effaçaient. La dernière image fut celle du sorcier qui riait sous le soleil.
L’arrachement
Si Salomé avait parfois defié sa mère, elle l’avait aussi toujours crainte. Aussi loin qu’elle puisse se rappeler, la plupart de ses envies enfantines avaient été brutalement stoppées par cette femme sévère, et lui en était resté une forme d’appréhension constante en sa présence.
Ce matin là, sa mère était assise sur la terrasse de la maison, la tête levée vers la glycine en fleur, comme pour vérifier que la beauté de la plante était contenue et, de ce fait, parfaite. Salomé trouvait sa mère belle malgré ses traits durs et figés. En fait elle était belle comme une statue : froide et fascinante.
Le craquement du parquet fit baisser les yeux de la femme vers sa fille.
"Tu as sali ta robe, tu devrais aller en changer, dit-elle.
Salomé ignora poliment la remontrance.
– Je veux aller à l’école.
– Iris est là pour ça, tu le sais bien.
– Iris ne m’apprend rien. Elle ne joue pas.
– Tu dois apprendre à jouer seule, tu sauras bien assez tôt à quel point ça te servira.
– Pourquoi tu ne me laisses pas aller dehors ? s’enquit Salomé.
– Il n’y a rien à apprendre dehors.
– Il y a les autres de mon âge.
– Ces enfants n’ont rien à voir avec toi.
– Je les aime bien. Ils me ressemblent.
– Salomé, je t’ai dit non. De toute façon, nous serons bientôt loin d’eux.
– Comment ça ?
Salomé était inquiète. Son imagination l’avait amenée à créer une amitié lointaine avec ces enfants, et même avec quelques adultes. Elle aimait les voir se heurter à une réalité qu’elle ne parvenait à palper que de manière superficielle. Elle ne pouvait se résoudre à partir sans un mot de cette maison qu’elle connaissait depuis son enfance et dans laquelle elle avait laissées ses empreintes, ses couleurs et ses nuances.
Elle ne le savait pas encore mais elle ne reverrait plus jamais sa ville, son pays et sa mère non plus.
Le doute
Il se faisait tard, le nuit déjà avait tout enveloppé, Salomé assise sur les marches est absorbée, absente ; les mots de sa mère se bousculent dans sa tête sans qu’elle ne parvienne à en trouver le sens.
Tout allait si bien, jusqu’à aujourd’hui ; salomé se demande si elle a bien fait de chercher à savoir, à comprendre ; finalement à quoi sert de vouloir savoir.
Sa mère à sans doute raison de garder le silence, mais alors pourquoi lui dire qu’elle devrait partir, bientôt, et très loin. S’agit-il d’un secret seul connu de ses parents, des adultes et en quoi cela la concerne-t-elle au point qu’elle doive partir, vite...
Salomé n’a pas l’habitude de tels changements ; toute sa vie jusqu’à présent est réglée comme une habitude qui chaque matin revient et se déroule jusqu’au soir. Salomé frissonne, elle regarde autour d’elle, scrupte les moindres détails de cet environnement qu’elle connait si bien, qu’elle aime, qu’elle ne veut pas quitter. Ce mystère se fait isupportable, le secret est intolérable.
Je dois savoir, se dit Salomé.
le retour
Le lendemain au réveil, rien n’était comme les jours précedents. Enfin, pendant le temps passé loin de la maison, ses perceptions vers les choses qui l’entouraient avaient été tous les jours différents. Elle s’en rendait parfaitement compte. De la vie de la cour où elle avait grandi, elle connaissez les moindres détails.
Du moins c’est ce qu’elle croyait. Elle ne croyait pas que quelque chose aurait pu encore la surprendre. Elle croyait avoir appris à gérer les tentatives de sa mère de biaiser ses opinions et son interprétation personnelle de la vie dans la cour, que à l’apparence la même pour tous.
Se détacher de tout ça n’avait pas été simple. Mais elle ne s’était jamais senti seule, tellement elle avait à découvrir. Elle se sentait loin de n’importe quelle chose qui aurait pu lui faire mal.
Le temps passé loin de la cour avait été fondamental. Rien ne sera comme avant à son retour. Tout lui paraitra nouveau. Tout lui sera clair comme jamais, elle en est sûre.
Le sorcier
La nouveauté était une source de mobilité et de curiosité pour Salomé. Les nouveaux couples, les nouvelles naissances, les nouveaux départs, les nouvelles arrivées : toutes les nouveautés du village l’attiraient. Salomé était obstinée par le mot "nouveau". Mais, le passé s’installait souvent dans son esprit. Elle voulut répondre à ces questions en discutant avec cet homme que tout le monde appelait familièrement le "sorcier".
Le sorcier était un homme étrange. Son aide et son remède incitaient les gens qui venaient le voir à ne pas croire la voix de la religion.
– Des mensonges, disait-il sans cesse. La seule vérité, c’est l’homme et son berceau : le monde.
La fuite
Alors Salomé partit. Pour la seconde fois. Elle partit d’elle-même ce coup-ci, elle n’y avait pas pensé avant, c’était venu comme ça, une nécessité. Elle partit, seule, sans rien dire à personne, surtout pas à maman, sans prendre une seule chose avec elle, elle ne voulait plus rien Salomé, plus aucune chose de la maison, peut-être, encore un peu les images en elle, les bruits, les cris et les rires des gens. En elle.
Salomé s’engouffra dans la fôret, se laissa envahir par les arbres et les lianes qui semblaient maintenant faire partie d’elle, comme si elle avait avalé des milliers de petites graines sales et qu’elles avaient germé dans sa tête. La fôret poussait d’elle, lui sortait du crâne, des bras et des épaules, elle devenait feuille, herbe, nature, et tant pis pour maman, et même pour les autres, ses gens qu’elle pensait emporter avec elle, tant pis pour tout ce qu’elle avait été avant, pour sa solitude et sa soif d’aller vers les autres. Ils s’effaçaient. La dernière image fut celle du sorcier qui riait sous le soleil.