La camionnette blanche s’était garé devant la maison, son autocollant Africabot rutilant sur le flanc, Charles et Fancis avaient franchi la petite porte et traversé la cour pour aller à la rencontre de la mère de Salomé.
Les deux techniciens s’étaient ensuite rendu à l’étage où elle les avait introduit dans la chambre d’amis.
– c’est ici, ils ne répondent plus à aucun ordre, mon mari est exaspéré, c’est la deuxieme fois ce mois ci.
– ils sont très sensibles à l’humidité, nous allons regarder ce qu’il est possible de faire et nous ferons un geste commercial.
– le premier est ici dans ce fauteuil où nous avons réussi à l’immobiliser avant de le déconnecter, pour le second cela a été plus compliqué, il est entre le lit et l’armoire.
– merci madame, nous allons faire le nécessaire et nous vous appellerons.
Les deux hommes défirent leur veste et ouvrir la valise contenant les outils, les deux androides gisant là étaient un homme et une femme d’age mur, les domestiques de la famille, en location depuis le 5 ans. Les modèles venus de Scandinavie étaient très prisés des clients à la suite de cette série qui avait fait leur succès, mais ils étaient également très fragiles.
Par l’encoignure de la porte, Salomé vit deux hommes retourner Antoine, le vieux domestique de la famille, à plat ventre sur le dos du fauteuil, puis remonter sa veste pour brancher un câble au niveau de sa hanche.
– ok dit Charles, je l’ai ! on peut commencer la réinitialisation, on va d’abord tester avec la mise à jour puis on verra s’il faut aller plus loin.
Prologue
Comme toujours à cette heure, le chant de l’homme se fit entendre. Arpentant les rues du quartier, il hélait les habitants, traînant derrière lui un chariot. Son appel les faisait sortir en courant de leurs maisons et, en un rien de temps, la caisse à roulettes se remplissait de bouteilles vides. Elles avaient contenu du soda, de la bière la plupart du temps. Pour la peine, on lui remettait une pièce de cent francs. Bientôt, son chant s’éteignit dans le lointain. La nuit tomba alors, comme elle savait le faire dans ce pays, sans crier gare.
D’habitude, ce moment de la journée était son préféré. Un autre rythme s’emparait de la ville. Les marchandes de beignets et de poisson grillé remplaçaient leurs homologues qui, de l’aube au crépuscule, avaient proposé d’autres denrées. Les gamins des familles déshéritées prenaient place sous les réverbères pour faire leurs devoirs, tandis que les commères plantaient une chaise devant le portail de leur demeure, afin que rien ne leur échappe de la vie qui s’ébrouait là. Des rires étaient dans l’air.
Assise dans un coin de la cour, près de l’endroit où quelques bambous avaient
été arrachés à la clôture, Salomé regardait s’agiter le monde au dehors. Il lui était interdit de sortir, de fréquenter les enfants des quartiers comme disaient ses parents pour désigner les mal lotis. Aussi, c’était de loin qu’elle prenait part à leurs jeux, les enviant presque de vivre dans des maisons dépourvues d’électricité. Le spectacle de la rue la ravissait. Elle connaissait tout le monde, le moindre visage, les histoires de cœur naissantes, celles qui s’étaient achevées dans la fureur et les larmes.
Aujourd’hui, rien de tout cela ne l’intéressait. Salomé ne salivait pas à l’idée de goûter les maquereaux cuits à la braise, sur lesquels le vent apportait un peu de poussière pour parfaire l’assaisonnement. Sa mère disait que c’était plein de microbes, que c’était sale. Mais elle disait aussi qu’il ne fallait pas avaler les pépins des oranges, de peur qu’un oranger vous pousse sur la tête. Salomé, excitée à la pensée d’un arbre prenant racine au milieu de son crâne, avait fréquemment défié l’interdit. En vain. Depuis, elle n’accordait qu’un crédit relatif aux dires de sa mère.
Pourtant, c’était la parole maternelle qui la troublait ce soir, lui gâchant le plaisir de l’observation. Quelques mots énoncés avec mépris, d’une voix sèche : « Ce sont nos gens, je leur parle comme il sied. Ils peuvent s’estimer heureux d’avoir été admis dans la famille… » Salomé se leva, fit quelques pas vers la maison, s’arrêta sous le manguier dont une chauve-souris avait croqué des fruits encore verts. Elle avait un peu peur de rentrer. « Ce sont nos gens. » Ces mots lui pesaient sur le cœur. Pourquoi ? Elle n’aurait pu le dire. Il lui venait simplement une intuition. Comme un soupçon. Elle devait savoir. Comprendre. Demain, elle irait interroger sa mère.
Domestiques high tech
Batbot
Charles appuya sur le bouton d’initialisation, sur le ventre du domestique high tech, là on aurait se serait attendu à trouver un nombril. Salomé eut un frisson. Qu’étaient-ils en train de faire ?
Le domestique tressaillit, cligna des yeux (ils étaient bleus), puis se redressa."Que puis-je faire pour vous ?"
Salomé regardait le bot avec des yeux ronds. Charles, lui, était plus critique."Il est un peu raté. Les yeux sont bizarres."
A cet instant, une tête poilue s’engouffra par la fenêtre en glapissant. "Salomé, est-ce que tu as nourri cette chauve-souris ?" Oui, elle se rappelait lui avoir donné quelques pépins d’orange sous l’arbre, tout à l’heure..."Les chauve-souris sont naturellement attirées par l’électronique. Elles les laissent tranquilles tant qu’elles sont rassasiées. Mais si tu aguiches leur appétit avec de l’orange... Elles risquent de vouloir gober quelques circuits comme des moustiques."
Tandis qu’il parlait, Charles s’était approché de la fenêtre à pas de loups et d’un saut bondit sur la chauve-souris. Il l’avait eue. "On va la transformer un petit peu..."
Hack the Bat !
La chauve-souris s’agita frénétiquement entre ses mains. Charles, d’un geste assuré, empoigna un torchon tout en tenant l’animal de l’autre main, et recouvrit sa tête, formant une étrange capuche à carreaux roses. Immédiatement, la bête cessa de s’agiter, comme plongée dans un sommeil de narcoleptique.
"Chauve-souris = ultrasons ! Augmentons la chauve-souris ! Inventons la chauve-souris 2.0 !" s’écria fièrement Charles.
Posée sur la table de la cuisine, la bestiole semblait dormir paisiblement. Charles dégaina un fer à souder, une petite boîte remplie de composants électroniques de toutes les couleurs, puis commença à les souder sur une passoire un peu rouillée, qu’il avait trouvé sous l’évier.
Salomé, admirative, observa son travail pendant une bonne demi-heure. Parfois, Charles lui demandait de lui trouver une fourchette ou un tire-bouchon, qu’il s’empressait de tordre ou démonter.
Enfin, il finit par équiper la chauve-souris de son étrange engin.
A la manière d’un matador, il retira le torchon de cette étrange créature clignotante, mi-passoire, mi-chauve-souris : "Vole petite ! Fais ton travail !"
L’enfance de Salomé
Charles regarda sa créature s’envoler en se demandant une dernière fois s’il avait bien calibré son propulseur de vol intégré. La chauve-souris fit un demi-tour sur elle-même, frôla le mur de la maison ne manquant pas d’érafler quelques uns de ses câbles électriques et finit par s’écraser dans l’évier. Au moins elle avait été attirée par l’eau, comme prévu. Charles se demandait pourquoi Salomé avait autant besoin de cette machine. Il était question de mesurer et réguler l’humidité de l’air et cette chauve-souris mangeuse de circuits électroniques était tombée à pic ! Finalement Charles avait pu créer un hybride capable de drainer l’humidité de l’air grâce à une passoire biométrique... Encore fallait-il qu’elle arrive à voler plus de quelques secondes !
A l’autre bout de la ville, Salomé s’était enfermée dans sa chambre, soucieuse. Elle ne pouvait accepter les déclarations de sa mère. Elle restait persuadée au fond d’elle-même que les domestiques de la famille ne méritaient pas d’être traités comme tel uniquement parce qu’ils n’étaient pas entièrement humains. Elle pensait surtout à Pomesse qui l’avait quasiment élevé. Elle avait toujours été bien plus présente et à l’écoute que sa propre mère ! Salomé se laissa porter par les doux souvenirs de son enfance qui envahirent son esprit... Pourquoi n’avait-elle pas compris plus tôt qui étaient vraiment ces domestiques ?
Elle se souvint de Paissé, lorsqu’elle était toute jeune, qui avalait le matin son bol de lithium sucré avant de démarrer la journée... Et puis il y a Ardunoino dont le visage se crispait soudainement alors qu’une petite fumée accompagnée d’un grésillement émanait de ses oreilles lorsque Salomé s’amusait à l’arroser au moment du bain... Et comment oublier Ayefaune qui toutes les trois heures s’asseyait dans un coin en s’enfonçant dans le bras un câble directement relié à la prise électrique. Son préféré avait toujours été Ouinedoz, ce vieux domestique d’une autre époque qui s’exclamait sans crier garde "system error !" sans que l’on comprenne pourquoi... Les jumelles Div et Slashdiv qui parlaient une langue étrangère ne pouvait jamais se séparer sans devenir complètement inefficaces...
Elle comprenait mieux maintenant la mémoire extraordinaire de Pomesse à qui elle racontait toutes histoires... Désormais, il fallait à tout prix que Charles réussissent son projet de chauve-souris régulatrice d’humidité, sinon le plan diabolique de sa mère finirait par tuer ces domestiques high-tech...
Petite tragédie botanique
Charles avait évalué à 5 heures le temps disponible pour enrayer le développement de la forêt tropicale qui commençait déjà à envahir son bureau.
Adapter son mashup électroménager -qui ne s’était jamais vendu- au profit du salut d’un village entier l’aurait bien fait sourire si il n’avait été obligé au même moment d’éponger les gouttes de sueur qui perlaient au dessus de son câblage d’actionneurs 220V.
Sa towel sur l’épaule, il relança la compilation du modèle de vol probabiliste des chauves-souris qu’il venait de corriger. Il plaça un nouveau spécimen sorti de son carton sur le lance-souris, ajusta la direction du tir et plutôt satisfait bût une gorgée de Corsendonk [1].
Le petit hubot ailé fût projeté par la fenêtre entrouverte avec un bruit de piston qui lui rappela la première réaction de sa mère à son projet de développement d’aides ménagers électroniques : "Saucy Salander... Ne t’y avises, ces idées sont emplies d’avidité et de partenariat industriels.".
Celà paraissait maintenant clair que l’ouverture du village aux échanges aurait désenclavé la zone quantique et l’esclavagisme qu’elle maintenait localement aurait rapidement été mis à mal.
Il essaya de joindre Salomé ou John ou Brice ou Pénélope. Mais personne ne répondit. Il finit sa bière.
Les chauves souris revenaient par grappes éparses, leurs passoires à fermeture hydraulique remplies d’un liquide jaunâtre qu’elles déversaient devant la maison à la lisière de la forêt avant de se recharger puis de repartir.
Il fallait se rendre à l’évidence, les interventions des hubots ne suffiraient qu’à retarder la croissance de la végétation dont la progression exponentielle s’imposait. Le temps de doublement étant de 4h, dans une heure il ne resterait rien de l’endroit où il se trouvait. Quand on sait qu’il y a 12h elle n’occupait qu’un dixième de l’espace, celà avait trompé tout le monde.
C’est en décapsulant une Brunehaute d’un coup de molaire qu’il repensa à son père, David. Il avait lui-même tenté une régulation de la forêt 10 ans plus tôt :
– Intrepid Ibex, C’est contraire aux lois de la nature, répétait sa mère.
– Jacky Jackalope, Il n’y a pas de justice dans l’ordre des choses. C’est en intervenant que nous donnerons un sens à ce que nous faisons dans ce trou reculé.
– Les arbres étaient là bien avant nous, tout est en ordre ici. Tout effort conduira à notre perte.
A l’époque elle stimulait déjà sûrement chimiquement le développement de la végétation pour la densifier, maintenant tout s’était emballé.
Les branches de sempervirents se rapprochaient dangereusement de la caisse de Fransiskaner posée à ses pieds.
Il essaya de joindre Salomé ou John ou Brice ou Pénélope. Personne ne décrochait. Il finit sa bière.
Alors que les premières branches se posaient sur sa chemise hawaienne pourtant repassée de la veille, il reformula cette idée qui résonna avec l’intemporalité d’une Guinness : les privilèges tiennent localement. C’est ce que sa mère avait réussi à mettre en oeuvre.
Il arracha les feuilles qui lui barraient le passage pour s’asseoir devant sa machine, déprogramma la fonction globale d’intervention des hubots et poussa un modèle multi-agents [2] qui donnait autonomie et simple interaction aux individus ailés.
C’est à ce moment qu’il butta sur une Triple Karmeliet qui se trouvait sous son bureau. Il la ramassa avec un sourire satisfait.
En se relevant il croisa son reflet mêlé de branches dans la direction de la fenêtre et eu l’impression de découvrir un arbre fruitier lui pousser sur la tête. Concentré sur cette image, il ne vit pas arriver la chauve souris qui le heurta de plein fouet. Dans sa chute il appuya sur la touche entrée qui lança la compilation avant de s’effondrer sans connaissance.
Derrière la canopée, le soleil déclinait à l’horizon et projetait ses longues traînées sur
le sol de la pièce voguant entre les capsules, les dictionnaires des synonymes et son symbian 3 en train de vibrer, au nom de Salomé.
Domestiques high tech
La camionnette blanche s’était garé devant la maison, son autocollant Africabot rutilant sur le flanc, Charles et Fancis avaient franchi la petite porte et traversé la cour pour aller à la rencontre de la mère de Salomé.
Les deux techniciens s’étaient ensuite rendu à l’étage où elle les avait introduit dans la chambre d’amis.
– c’est ici, ils ne répondent plus à aucun ordre, mon mari est exaspéré, c’est la deuxieme fois ce mois ci.
– ils sont très sensibles à l’humidité, nous allons regarder ce qu’il est possible de faire et nous ferons un geste commercial.
– le premier est ici dans ce fauteuil où nous avons réussi à l’immobiliser avant de le déconnecter, pour le second cela a été plus compliqué, il est entre le lit et l’armoire.
– merci madame, nous allons faire le nécessaire et nous vous appellerons.
Les deux hommes défirent leur veste et ouvrir la valise contenant les outils, les deux androides gisant là étaient un homme et une femme d’age mur, les domestiques de la famille, en location depuis le 5 ans. Les modèles venus de Scandinavie étaient très prisés des clients à la suite de cette série qui avait fait leur succès, mais ils étaient également très fragiles.
Par l’encoignure de la porte, Salomé vit deux hommes retourner Antoine, le vieux domestique de la famille, à plat ventre sur le dos du fauteuil, puis remonter sa veste pour brancher un câble au niveau de sa hanche.
– ok dit Charles, je l’ai ! on peut commencer la réinitialisation, on va d’abord tester avec la mise à jour puis on verra s’il faut aller plus loin.
Batbot
Charles appuya sur le bouton d’initialisation, sur le ventre du domestique high tech, là on aurait se serait attendu à trouver un nombril. Salomé eut un frisson. Qu’étaient-ils en train de faire ?
Le domestique tressaillit, cligna des yeux (ils étaient bleus), puis se redressa."Que puis-je faire pour vous ?"
Salomé regardait le bot avec des yeux ronds. Charles, lui, était plus critique."Il est un peu raté. Les yeux sont bizarres."
A cet instant, une tête poilue s’engouffra par la fenêtre en glapissant. "Salomé, est-ce que tu as nourri cette chauve-souris ?" Oui, elle se rappelait lui avoir donné quelques pépins d’orange sous l’arbre, tout à l’heure..."Les chauve-souris sont naturellement attirées par l’électronique. Elles les laissent tranquilles tant qu’elles sont rassasiées. Mais si tu aguiches leur appétit avec de l’orange... Elles risquent de vouloir gober quelques circuits comme des moustiques."
Tandis qu’il parlait, Charles s’était approché de la fenêtre à pas de loups et d’un saut bondit sur la chauve-souris. Il l’avait eue. "On va la transformer un petit peu..."
Hack the Bat !
La chauve-souris s’agita frénétiquement entre ses mains. Charles, d’un geste assuré, empoigna un torchon tout en tenant l’animal de l’autre main, et recouvrit sa tête, formant une étrange capuche à carreaux roses. Immédiatement, la bête cessa de s’agiter, comme plongée dans un sommeil de narcoleptique.
"Chauve-souris = ultrasons ! Augmentons la chauve-souris ! Inventons la chauve-souris 2.0 !" s’écria fièrement Charles.
Posée sur la table de la cuisine, la bestiole semblait dormir paisiblement. Charles dégaina un fer à souder, une petite boîte remplie de composants électroniques de toutes les couleurs, puis commença à les souder sur une passoire un peu rouillée, qu’il avait trouvé sous l’évier.
Salomé, admirative, observa son travail pendant une bonne demi-heure. Parfois, Charles lui demandait de lui trouver une fourchette ou un tire-bouchon, qu’il s’empressait de tordre ou démonter.
Enfin, il finit par équiper la chauve-souris de son étrange engin.
A la manière d’un matador, il retira le torchon de cette étrange créature clignotante, mi-passoire, mi-chauve-souris : "Vole petite ! Fais ton travail !"
L’enfance de Salomé
Charles regarda sa créature s’envoler en se demandant une dernière fois s’il avait bien calibré son propulseur de vol intégré. La chauve-souris fit un demi-tour sur elle-même, frôla le mur de la maison ne manquant pas d’érafler quelques uns de ses câbles électriques et finit par s’écraser dans l’évier. Au moins elle avait été attirée par l’eau, comme prévu. Charles se demandait pourquoi Salomé avait autant besoin de cette machine. Il était question de mesurer et réguler l’humidité de l’air et cette chauve-souris mangeuse de circuits électroniques était tombée à pic ! Finalement Charles avait pu créer un hybride capable de drainer l’humidité de l’air grâce à une passoire biométrique... Encore fallait-il qu’elle arrive à voler plus de quelques secondes !
A l’autre bout de la ville, Salomé s’était enfermée dans sa chambre, soucieuse. Elle ne pouvait accepter les déclarations de sa mère. Elle restait persuadée au fond d’elle-même que les domestiques de la famille ne méritaient pas d’être traités comme tel uniquement parce qu’ils n’étaient pas entièrement humains. Elle pensait surtout à Pomesse qui l’avait quasiment élevé. Elle avait toujours été bien plus présente et à l’écoute que sa propre mère ! Salomé se laissa porter par les doux souvenirs de son enfance qui envahirent son esprit... Pourquoi n’avait-elle pas compris plus tôt qui étaient vraiment ces domestiques ?
Elle se souvint de Paissé, lorsqu’elle était toute jeune, qui avalait le matin son bol de lithium sucré avant de démarrer la journée... Et puis il y a Ardunoino dont le visage se crispait soudainement alors qu’une petite fumée accompagnée d’un grésillement émanait de ses oreilles lorsque Salomé s’amusait à l’arroser au moment du bain... Et comment oublier Ayefaune qui toutes les trois heures s’asseyait dans un coin en s’enfonçant dans le bras un câble directement relié à la prise électrique. Son préféré avait toujours été Ouinedoz, ce vieux domestique d’une autre époque qui s’exclamait sans crier garde "system error !" sans que l’on comprenne pourquoi... Les jumelles Div et Slashdiv qui parlaient une langue étrangère ne pouvait jamais se séparer sans devenir complètement inefficaces...
Elle comprenait mieux maintenant la mémoire extraordinaire de Pomesse à qui elle racontait toutes histoires... Désormais, il fallait à tout prix que Charles réussissent son projet de chauve-souris régulatrice d’humidité, sinon le plan diabolique de sa mère finirait par tuer ces domestiques high-tech...
Petite tragédie botanique
Charles avait évalué à 5 heures le temps disponible pour enrayer le développement de la forêt tropicale qui commençait déjà à envahir son bureau.
Adapter son mashup électroménager -qui ne s’était jamais vendu- au profit du salut d’un village entier l’aurait bien fait sourire si il n’avait été obligé au même moment d’éponger les gouttes de sueur qui perlaient au dessus de son câblage d’actionneurs 220V.
Sa towel sur l’épaule, il relança la compilation du modèle de vol probabiliste des chauves-souris qu’il venait de corriger. Il plaça un nouveau spécimen sorti de son carton sur le lance-souris, ajusta la direction du tir et plutôt satisfait bût une gorgée de Corsendonk [1].
Le petit hubot ailé fût projeté par la fenêtre entrouverte avec un bruit de piston qui lui rappela la première réaction de sa mère à son projet de développement d’aides ménagers électroniques : "Saucy Salander... Ne t’y avises, ces idées sont emplies d’avidité et de partenariat industriels.".
Celà paraissait maintenant clair que l’ouverture du village aux échanges aurait désenclavé la zone quantique et l’esclavagisme qu’elle maintenait localement aurait rapidement été mis à mal.
Il essaya de joindre Salomé ou John ou Brice ou Pénélope. Mais personne ne répondit. Il finit sa bière.
Les chauves souris revenaient par grappes éparses, leurs passoires à fermeture hydraulique remplies d’un liquide jaunâtre qu’elles déversaient devant la maison à la lisière de la forêt avant de se recharger puis de repartir.
Il fallait se rendre à l’évidence, les interventions des hubots ne suffiraient qu’à retarder la croissance de la végétation dont la progression exponentielle s’imposait. Le temps de doublement étant de 4h, dans une heure il ne resterait rien de l’endroit où il se trouvait. Quand on sait qu’il y a 12h elle n’occupait qu’un dixième de l’espace, celà avait trompé tout le monde.
C’est en décapsulant une Brunehaute d’un coup de molaire qu’il repensa à son père, David. Il avait lui-même tenté une régulation de la forêt 10 ans plus tôt :
– Intrepid Ibex, C’est contraire aux lois de la nature, répétait sa mère.
– Jacky Jackalope, Il n’y a pas de justice dans l’ordre des choses. C’est en intervenant que nous donnerons un sens à ce que nous faisons dans ce trou reculé.
– Les arbres étaient là bien avant nous, tout est en ordre ici. Tout effort conduira à notre perte.
A l’époque elle stimulait déjà sûrement chimiquement le développement de la végétation pour la densifier, maintenant tout s’était emballé.
Les branches de sempervirents se rapprochaient dangereusement de la caisse de Fransiskaner posée à ses pieds.
Il essaya de joindre Salomé ou John ou Brice ou Pénélope. Personne ne décrochait. Il finit sa bière.
Alors que les premières branches se posaient sur sa chemise hawaienne pourtant repassée de la veille, il reformula cette idée qui résonna avec l’intemporalité d’une Guinness : les privilèges tiennent localement. C’est ce que sa mère avait réussi à mettre en oeuvre.
Il arracha les feuilles qui lui barraient le passage pour s’asseoir devant sa machine, déprogramma la fonction globale d’intervention des hubots et poussa un modèle multi-agents [2] qui donnait autonomie et simple interaction aux individus ailés.
C’est à ce moment qu’il butta sur une Triple Karmeliet qui se trouvait sous son bureau. Il la ramassa avec un sourire satisfait.
En se relevant il croisa son reflet mêlé de branches dans la direction de la fenêtre et eu l’impression de découvrir un arbre fruitier lui pousser sur la tête. Concentré sur cette image, il ne vit pas arriver la chauve souris qui le heurta de plein fouet. Dans sa chute il appuya sur la touche entrée qui lança la compilation avant de s’effondrer sans connaissance.
Derrière la canopée, le soleil déclinait à l’horizon et projetait ses longues traînées sur
le sol de la pièce voguant entre les capsules, les dictionnaires des synonymes et son symbian 3 en train de vibrer, au nom de Salomé.